Le contre-débat du Bar commun – Acte I

On était douze, jeudi 7 février, dans un coin du Bar commun, pour lancer notre « contre-débat » ! On s’est notamment demandé ce que cela voulait dire, pour chacun d’entre nous « être citoyen ». Retour sur deux heures de discussion animée. Et ça ne fait que commencer…

Le Bar commun est un lieu de débats, et il paraît que c’est la saison… Mais, au vu des questions, fermées et biaisées, que le Gouvernement a posées aux Français, on ne voulait pas s’inscrire dans le « grand débat national ». Pour autant, après les soirées consacrées au mouvement des gilets jaunes, nous voulions tester notre capacité à nous saisir de façon critique d’un enjeu d’actualité.

On s’est donc retrouvés à douze, dans un coin du bar, de tous les âges, de tous les sexes, et de diverses origines. Il fallait voir la tête de Myriam*, née en Tunisie et de Ferhat, élevé en Iran, quand Carolina a dit que nous étions « tous blancs ! » autour de la table. Sur cette table justement, quelques demis, quelques verres de vin rouge ou de jus d’ananas, du pain et du fromage.

Alors au départ, même si Kristina « garde l’espoir qu’il sorte quelque chose » du grand débat, la plupart d’entre nous expriment, au mieux des points d’interrogation, le plus souvent une défiance radicale à l’égard de la démarche : « C’est pas le grand débat qui va changer les choses », résume Delphine, retraitée nostalgique des barricades de 68. Nadine, elle aussi à la retraite, souligne que « les contributions seront traitées avec du big data, et les choses intéressantes ne sortiront pas ». Et Julien, qui n’a pas voulu apporter son concours à l’opération considère qu’« on n’a aucune garantie sur le traitement qui en sera fait ».

« Maintenant ça se joue dans les bars »

Carolina, qui se dit « très sceptique », pense que les discussions politiques se jouent maintenant « dans les bars » – ça tombe bien ! Quant à Soraya, qui a « enfilé un gilet jaune pour avoir une place », elle veut que les gens puissent se parler partout, à une époque où on n’ose plus le faire, ni au boulot, ni même dans son couple.

Parler de quoi ? De citoyenneté et de démocratie pour commencer la soirée. C’est un des thèmes que le « grand débat » propose de traiter, mais en l’enfermant dans des points de mécanique institutionnelle qui ne retiennent pas, pour l’essentiel, l’attention de notre table. D’abord : c’est quoi être citoyen ? voter ? débattre ? manifester ? Myriam, qui n’a pas la nationalité française, demande à la table sur quels critères on peut ou non se considérer comme citoyen. C’est le moment que choisit Nourredine, qui était resté à l’écart, pour nous offrir un plateau de pâtisseries algériennes qui venaient de faire 2000 kilomètres – nous leur accordons aussitôt droit de cité parmi nous.

Pour Sam, les gilets jaunes, c’est le réveil des gens qui sentent qu’on « leur bouffe la carotte » : on prend conscience peu à peu qu’il va falloir changer de société, notamment face aux révolutions technologiques, comme la voiture autonome, qui va bouleverser le monde du travail dans le transport, la livraison. Sur quoi Sophie interpelle la tablée : « comment on fait ? comment on s’approprie ces enjeux collectivement ? ».

« On n’attend plus rien de ces institutions »

Objectivement, on a du mal à avancer sur la définition de la citoyenneté. Partir des frustrations qu’on éprouve ? Carolina et Soraya, 30 ans chacune, n’en sont déjà plus là : « la frustration, c’est quand on espère quelque chose, quand on y croit encore ; là on n’attend plus rien de ces institutions ! ». Donc il n’est plus question de dialogue avec le pouvoir – et pas non plus de débat, seulement de combat. « Ce débat, c’est comme un édredon pour étouffer le combat qui se jouait avant, avec les gilets jaunes », résume Daniel. « Avec le débat en réponse aux gilets jaunes, le Gouvernement se fout de notre gueule », retraduit Carolina, qui évoque les expériences de lien et de solidarité qu’elle a vécues, sous les lacrymos, les derniers samedis.

On pourrait croire à une fracture générationnelle autour de la table. Mais « nous les vieux, on en a gros », dit Annette, l’amie de Nadine, qui rappelle d’ailleurs qu’elle voyait peu de jeunes au cours des manifestations syndicales des 25 dernières années… Cela dit, quand on se demande ce qui devrait changer pour qu’on puisse se sentir davantage citoyens, les uns évoquent des aménagements dans les modalités de désignation des élus, d’autres de nouvelles manières d’articuler démocratie représentative, démocratie délibérative et démocratie directe… Tous, nous partons à la recherche d’un « autre système », sans qu’il s’impose avec clarté, sans qu’émerge non plus une voie pour y parvenir – jusqu’où faut-il, pour commencer, détruire celui qui prévaut aujourd’hui, et structurer ce qui se crée ?

Et maintenant, on fait quoi ?

Ce qui nous unit, au terme de deux heures de discussion, c’est une envie de se connaître – de comprendre les expériences de vie qu’on n’a pas soi-même, d’échanger pour arriver à parler de la même chose, à savoir de quoi on parle, de se rendre plus intelligents ensemble…

Alors on continue. Et déjà on remet ça jeudi prochain, le 14 février à partir de 20h. On partira des enjeux de transition énergétique, mais on peut déjà parier qu’il sera encore question de citoyenneté et de démocratie.

 

* Comme on n’a pas fait valider le compte rendu verbatim par tous les participants, certains prénoms ont été changés…